Un scandale écologique
Résultat, "il y a un risque que la ressource s’épuise, s’inquiète le chercheur Eric Chaumillon, professeur de géologie marine à l’Université de la Rochelle. Aujourd’hui, l’homme consomme beaucoup plus que ce que la nature est capable de produire en termes de sédiments dans la mer."
Une surexploitation qui a des conséquences désastreuses sur l’environnement. "Singapour a gagné sur la mer 120 km2, c’est un scandale écologique pour la faune et la flore", s’indigne le directeur du Centre d’études et de recherche de la mer de l’Institut catholique de Paris, Christian Buchet, également auteur du Livre noir de la mer. "Pour gagner ces 120 km2, il a fallu transporter des centaines de km3 de sable. Mais quand vous vendez le sable de vos plages, ça veut dire que vous allez être davantage vulnérables à l’érosion marine, aux vagues de tsunami, à la salinisation des terres agricoles."
Dans un rapport publié en mai 2019, le PNUE s’inquiète d'"une extraction de sable qui n’a pas seulement un impact sur l’environnement mais aussi des répercussions sociales considérables". L'ONU appelle à une régulation mondiale du secteur.
Dans le sud de l’Inde, dans l’État du Tamil Nadu, le sable de plage recèle des minerais très convoités, comme le grenat, l’ilménite, le rutile, le zircon, le silicate, le leucoxène ou la monazite (un minéral radioactif qui contient de l’uranium et du thorium). [...]
Dix millions de tonnes de sable auraient ainsi été exploitées illégalement entre 2000 et 2013.
En septembre 2013, les autorités du Tamil Nadu décident finalement d’interdire l’exploitation et l’exportation de sable aux sociétés privées. Mais cette interdiction n’a pas été respectée. Selon un rapport de la Haute Cour de Madras, les sociétés privées ont continué à exporter illégalement plus de deux millions de tonnes de minéraux, entre 2013 et 2016.
En janvier 2017, une longue enquête de Sandhya Ravishankar publiée par le site The Wire détaille ce contournement de la loi. [...]
La France apparaît également dans ces documents.
On voit ainsi apparaître le nom d’une société spécialisée dans la fourniture d’abrasif, c’est-à-dire tout ce qui permet de décaper des sols ou des murs ou de faire de la découpe de précision avec un jet d’eau à haute pression. Pour cela, il faut utiliser un minéral, le grenat, qu’on retrouve dans le sable indien exporté à cette période.
La deuxième société française dont on retrouve la trace dans ces données est une PME française qui existe depuis 1932 : le Comptoir de minéraux et de matières premières.
La PDG de l’entreprise, Joëlle Briot, a accepté de nous ouvrir ses archives. Elle nous confirme qu’elle a bien eu V.V. Minéral comme fournisseur de zircon, un minéral extrait du sable indien, entre 2012 et 2016. Le zircon est utilisé notamment pour fabriquer des moules de pièces de moteurs automobiles ou de pièces aéronautiques qui doivent résister à de très hautes températures. On en retrouve également dans les plaquettes de frein, les prothèses dentaires ou les émaux de carreaux de céramique.
"Personne ne nous a alerté de la moindre illégalité à l’époque, explique Joëlle Briot. Ni le fournisseur, ni les banques, ni le port, ni les douanes… Nous avons été trompés. Tout se faisait avec l’apparence de la normalité."
Ce n’est que fin 2016 que l’entreprise française dit avoir reçu un message de V. V. Mineral l’informant qu’il ne pouvait plus assurer ses livraisons. "C’est à ce moment-là que nous avons découvert dans la presse spécialisée qu’il y avait des problèmes de corruption avec cette société en Inde", ajoute la PDG de la société qui depuis a réorienté ses achats de zircon vers le Sénégal et vers l’Afrique du Sud. [...]